Face à la montée en puissance de l’accaparement des terres, les communautés locales se mobilisent pour défendre leurs droits. Quels sont les outils juridiques à leur disposition pour protéger leurs territoires ancestraux ?
Les enjeux de l’accaparement des terres
L’accaparement des terres est un phénomène mondial qui menace les droits fonciers des communautés locales. Il s’agit de l’acquisition à grande échelle de terres agricoles par des investisseurs étrangers ou nationaux, souvent au détriment des populations qui y vivent et en dépendent. Ce phénomène s’est accéléré depuis la crise alimentaire de 2008, touchant particulièrement les pays du Sud.
Les conséquences sont multiples : déplacements forcés de populations, perte de moyens de subsistance, destruction de l’environnement, conflits sociaux. Les communautés affectées se retrouvent privées de leurs terres ancestrales et de leurs ressources vitales.
Face à ces menaces, la protection juridique des droits fonciers des communautés est devenue un enjeu crucial. Différents instruments juridiques existent aux niveaux national et international pour lutter contre l’accaparement des terres.
Les instruments juridiques internationaux
Au niveau international, plusieurs textes offrent une protection aux communautés :
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007) affirme le droit des peuples autochtones à leurs terres et ressources traditionnelles. Elle exige leur consentement libre, préalable et éclairé pour tout projet affectant leurs territoires.
Les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers de la FAO (2012) fournissent des orientations pour une gestion durable des terres, forêts et pêches. Elles promeuvent la reconnaissance des droits fonciers coutumiers et la participation des communautés aux décisions.
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels protège indirectement les droits fonciers en garantissant le droit à un niveau de vie suffisant et à l’alimentation.
Les mécanismes de protection au niveau national
Au niveau national, la protection juridique des communautés repose sur plusieurs piliers :
La reconnaissance des droits fonciers coutumiers dans la législation est essentielle. De nombreux pays ont adopté des lois reconnaissant les droits collectifs des communautés sur leurs terres ancestrales, comme le Mali ou le Mozambique.
La mise en place de procédures de consultation obligatoires avant tout projet d’acquisition de terres à grande échelle permet d’impliquer les communautés. Le consentement libre, préalable et éclairé des populations concernées doit être recherché.
L’instauration de mécanismes de règlement des différends accessibles aux communautés est cruciale pour faire valoir leurs droits. Des tribunaux spécialisés sur les questions foncières existent dans certains pays comme le Ghana.
La formalisation des droits fonciers via des titres ou certificats peut sécuriser la tenure foncière des communautés. Des programmes de cartographie participative et d’enregistrement des droits coutumiers ont été mis en place, notamment au Bénin.
Le rôle de la société civile et des ONG
Face aux lacunes des systèmes juridiques, la société civile joue un rôle crucial dans la défense des droits fonciers des communautés :
Les ONG apportent un soutien juridique aux communautés affectées, les aidant à faire valoir leurs droits devant les tribunaux. Elles documentent les cas d’accaparement et mènent des campagnes de plaidoyer.
Des réseaux transnationaux se sont constitués pour coordonner les actions de lutte contre l’accaparement des terres. La Coalition internationale pour l’accès à la terre regroupe plus de 250 organisations dans 78 pays.
Des initiatives comme l’Observatoire mondial de l’accaparement des terres permettent de collecter des données et de sensibiliser l’opinion publique sur ce phénomène.
Les défis de la mise en œuvre effective des protections juridiques
Malgré l’existence d’instruments juridiques, leur mise en œuvre effective reste un défi majeur :
Le manque de moyens des administrations foncières limite l’application des lois sur le terrain. La corruption et le clientélisme favorisent parfois les investisseurs au détriment des communautés.
L’analphabétisme juridique des populations rurales et le coût élevé des procédures judiciaires freinent l’accès à la justice. Des programmes d’éducation juridique et d’aide juridictionnelle sont nécessaires.
Les conflits entre droit coutumier et droit moderne compliquent la reconnaissance des droits fonciers traditionnels. Un travail d’harmonisation juridique s’impose dans de nombreux pays.
Le manque de données fiables sur les régimes fonciers coutumiers rend difficile leur protection. Des efforts de cartographie participative sont à poursuivre.
Vers un renforcement de la protection juridique des communautés
Face à ces défis, plusieurs pistes se dégagent pour renforcer la protection juridique des communautés :
L’adoption de lois spécifiques sur les droits fonciers communautaires, comme l’a fait le Liberia en 2018, permet de mieux encadrer leur reconnaissance et leur protection.
Le développement de mécanismes de recours transnationaux, à l’image du Mécanisme de plainte de la Banque mondiale, offre de nouvelles voies de recours aux communautés.
Le renforcement des capacités des acteurs locaux (autorités, société civile, communautés) est essentiel pour une meilleure application des lois sur le terrain.
L’élaboration de directives contraignantes sur les investissements fonciers responsables au niveau international permettrait d’encadrer plus strictement les pratiques des investisseurs.
La protection juridique des communautés face à l’accaparement des terres reste un défi majeur. Si des progrès ont été réalisés, avec l’adoption d’instruments juridiques innovants, leur mise en œuvre effective nécessite une mobilisation continue de tous les acteurs. Le renforcement des capacités locales et l’amélioration de l’accès à la justice sont des priorités pour garantir aux communautés la maîtrise de leurs terres et ressources.